10.00 | Le GEM déplore l'absence de soutien au secteur privé

Interview de M. Thierry RAJAONA Président du GEM par 2424.mg – 23 mai 2020

2424.mg : Quels sont les impacts du coronavirus sur les entreprises membres du GEM ?

T.R. : Les conséquences de la crise diffèrent selon le secteur concerné. La filière tourisme dans sa globalité (incluant Air Mad et Tsaradia)enregistre par exemple jusqu’à 100% de pertes. En 2019, les recettes atteignaient la barre des 700 millions de dollars. Si la crise perdure jusqu’à la fin de 2020, les bénéfices seraient nuls. Quant aux pertes subies par le secteur textile, elles sont estimées à 50%. Contrairement à ce que l’on peut penser, le secteur de la télécommunication n’est pas épargné. Bien que les emplois soient maintenus grâce au télétravail et que les consommateurs continuent à acheter des forfaits, les recettes subissent une baisse de l’ordre de 20% à 30%. Il est donc impossible de chiffrer globalement les pertes. Il faut également noter que les entreprises ne peuvent pas toutes se permettre d’adopter le télétravail. Dans les industries, par exemple, les opérations exigent la présence physique des salariés devant leurs machines. Les prestataires de services sont les moins touchés par la crise, tandis que les industries et commerces font face à de lourdes pertes.

2424.mg : Peut-on évaluer les déficits enregistrés par les entreprises ?

T.R. : C’est difficile. Nous sollicitons d’ailleurs la création conjointe d’un comité de veille économique par les entreprises du secteur privé et le Gouvernement. Cette disposition nous permettrait de suivre régulièrement la situation économique qui prévaut au pays.

2424.mg : Quelles sont les impacts des mesures édictées par le Gouvernement sur les entreprises ?

T.R. :  Le secteur privé ne bénéficie pas d’un allègement mais d’un report du paiement des charges, notamment des taxes. Sont concernés le secteur du tourisme, les zones franches et les transporteurs. Effectivement, ces filières étaient les plus vulnérables lorsque le Gouvernement a pris sa décision. Cependant, c’est aujourd’hui le secteur privé dans son intégralité qui subit les conséquences de la crise et qui aurait besoin d’un geste de soutien de la part du Gouvernement. Face à la précarité actuelle, le secteur privé sollicite l’allègement voire l’annulation de ses charges : cotisations sociales, impôts…. A l’heure où nous parlons, soit trois mois après le début de la crise, aucune mesure en ce sens n’est adoptée ni même envisagée.

2424.mg : Le plan de mitigation n’aurait-il pas déjà dû être adopté ?

T.R. : Nous avons justement tenu une réunion à ce sujet jeudi dernier [NDLR : le 21 mai] car l’adoption du plan de mitigation était initialement annoncée pour le mois d’avril au plus tard. Un plan destiné à alléger les impacts de l'épidémie de Covid-19, avait été élaboré par le ministère de l'Industrie, du commerce et de l'artisanat (MICA) et le secteur privé. Présenté devant le gouvernement, le plan de mitigation a été refusé.

2424.mg : Quelles étaient les mesures prioritaires du plan ?

T.R. : Le ministre nous avait demandé d’identifier les éléments prioritaires. Le soutien aux travailleurs au chômage arrive en tête des mesures que nous avons proposées. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un soutien aux entreprises mais aux travailleurs ayant perdu leur emploi. Ces personnes désormais sans source de revenus ne font pas partie des acteurs des secteurs informels qui perçoivent des subventions à l’instar des Vatsy Tsinjo et Tosika Fameno. Les employeurs, les syndicats de travailleurs et le ministère s’étaient donc accordés sur la nécessité d’indemniser ces travailleurs au chômage. La proposition a toutefois été rejetée par le Gouvernement malgré l’approbation en amont du MICA. En situation de crise, les entreprises manquent par ailleurs de ressources financières. La seconde mesure prioritaire avancée va donc en ce sens puisque nous avions sollicité un crédit de trésorerie à faible taux d'intérêt et partiellement garanti par l'Etat. L’octroi d’un tel crédit ne permettrait certes pas de reprendre des activités normales. Toutefois, les entreprises pourraient survivre à la crise ne serait-ce qu’en maintenant une partie de leurs activités. Sauf que cette mesure n’a pas non plus obtenu l’aval du Gouvernement.

2424.mg : Le projet de loi de finances rectificatif ne prévoit-il aucune mesure favorable auxentreprises ?

T.R. : L’économie du secteur privé n’est pas abordée.

2424.mg : Quid du report du paiement des impôts ?

T.R. : Les recettes fiscales (impôts et droits de douanes) sont générées par les entreprises et les travailleurs. Si les entreprises cessent de tourner ou dans le meilleur des cas sont contraintes de réduire leurs activités, les recettes fiscales sont automatiquement impactées du fait de la réduction des bénéfices. C’est d’ailleurs pour cela que nous avions sollicité des mesures d’allègement et une aide financière auprès de l’Etat.

2424.mg : Quelles sont les propositions du secteur privé ?

T.R. : Les entreprises du secteur privé ont besoin d’aide pour pouvoir poursuivre leurs activités. Si nous mettons la clé sous la porte, nous cesserions de payer nos impôts et donc d’alimenter les caisses de l’Etat. En parallèle, nous tenons à rappeler que l’Etat bénéficie de soutiens extérieurs, notamment de la part du FMI. Nous regrettons le fait de ne pouvoir en tirer parti et de devoir chercher des solutions par nos propres moyens.

2424.mg : N’avez-vous pas soulevé la question des financements octroyés par les bailleurs lors de vos échanges avec le Gouvernement ?

T.R. : Il était annoncé que le secteur privé avait le droit de prétendre à un soutien financier prélevé sur les 450 millions de dollars accordés à l’Etat. Face à la baisse conséquente des recettes fiscales, le montant de ladite subvention allouée au Gouvernement Malagasy équivaut quasiment au gap budgétaire. A notre sens, il est primordial de réévaluer le budget et d’identifier les solutions favorables au secteur privé, sachant qu’il génère des impôts qui finiront évidemment dans la caisse de l’Etat. Effectivement, le Gouvernement a évoqué un manque de fonds propres, ce qui a conduit l’Etat à contracter des dettes externes et internes (BTA, BTF, FIHARY…).  Selon les statistiques de Ministère des Finances, les dettes internes ne représentent que 10% du PIB malagasy et le taux d’endettement global de l’Etat (dettes externes et internes confondues) est inférieur à 40% du PIB. Cela nous place dans la liste des pays les moins endettés à l’échelle internationale alors que nous figurons également dans la liste des pays les plus pauvres.

2424.mg : Il n’y a donc aucun plan de soutien concret au secteur privé ?

T.R. : Aucun pays n’est épargné par la crise actuelle, du moins sur le plan économique. En ce qui concerne Madagascar, nous faisons partie des rares pays n’ayant adopté aucun plan de soutien économique au secteur privé alors que les autres Gouvernements envisagent déjà la relance. C’est déplorable.

2424.mg : Que suggère concrètement le secteur privé ?

T.R. : Nous constatons malheureusement que les espoirs sont assez minces concernant la loi de finances rectificative. Cependant, nous avons eu vent d’un projet d’intégration du plan de mitigation dédié au secteur privé à un plan multisectoriel d’urgence concernant le secteur médical, le secteur social et le secteur économique. Nous attendons d’en savoir plus sur ce plan multisectoriel mais d’après nos sources, le soutien aux travailleurs serait toujours refusé par le Gouvernement. Nous espérons avoir l’occasion de nous entretenir plus amplement avec les dirigeants du pays car il est déplorable de bénéficier du soutien du MICA et du Ministère du Travail pour, au final, voir nos propositions rejetées en conseil des ministres.  

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