13.00 | La crise de la covid-19 aura-t-elle raison des entreprises malgaches?

Recueillis par JRR
Interview de M. Thierry-Marie Rajaona parue sur le site de Lakroan'i Madagasikara

Nous publions ici, in extenso, une interview de Thierry Rajaona parue sur une revue en ligne, sous la responsabilité de l’association RNS (Rencontre nationale sportive). Occasion de faire un clin d’œil à cette revue et vous la faire ‘découvrir’ aussi, au cas où… Bonne lecture.

Quatre mois après l’identification du patient zéro de la covid-19, Madagascar compte, le 28 juillet 2020, un peu plus de 10 300 malades* ou cas positifs et 99 décès* selon les chiffres officiels. L’épidémie connaît « un décollage extrêmement brutal, car c’est un virus respiratoire volontiers hivernal »**. L’impact de la crise sanitaire sur l’économie s’est très tôt fait ressentir, et ce, bien avant le premier confinement. Le 22 juin 2020, thierry-marie h. rajaona, président du gem, nous livre son analyse, alerte sur l’urgence de la situation économique et sociale et propose des réponses pour éviter le chaos et permettre de relancer l’économie. ENTRETIEN

Thierry-Marie H. Rajaona

Né en 1961 à Paris, Thierry-Marie H. Rajaona fait l’essentiel de sa scolarité au collège jésuite Saint-Michel à Antananarivo, puis après un bac scientifique C, entre en classe préparatoire HEC au lycée Louis-Le-Grand à Paris. Celui qui cofondera Juniors Pour Madagascar (JPM), poursuivra ses études dans la prestigieuse École de Commerce HEC, option Finance. Thierry-Marie H. Rajaona ne s’arrête pas là et décroche une maîtrise en droit international à Paris 2-Panthéon-Assas et un DESS de gestion des organismes financiers et bancaires à Paris-Dauphine.

Thierry-Marie H. Rajaona démarre sa carrière professionnelle dans de grands groupes internationaux comme BPCE, HSBC et Accenture à Paris avant de faire le choix de s’installer à Madagascar en 1993. Le fondateur-gérant de FTHM Conseils est à la tête d’une entreprise de conseils de plus de 25 ans d’existence, employant 100 personnes et vient d’être élu, en février 2020, à la tête du Groupement des Entreprises de Madagascar (GEM). Actionnaire et président du conseil d’administration de la SIPEM banque, Thierry-Marie H. Rajaona est engagé dans le secteur de la microfinance à Madagascar, mais aussi au sein de l’Observatoire des tendances du financement des TPE-PME-ETI sans oublier le domaine de la recherche, en étant administrateur de la fondation reconnue d’utilité publique Albert-et-Suzanne-Rakoto-Ratsimamanga-IMRA.

Quel regard portez-vous sur la gestion de la crise par les autorités malgaches sur le plan sanitaire? [NDLR : entretien réalisé le 22 juin 2020]

Très tôt, dès l’apparition de la pandémie dans le Nord de l’Italie, pays source de nos touristes en particulier à Nosy-Be, les autorités ont décidé, avec le soutien des opérateurs économiques, la fermeture des frontières à partir du 19 mars 2020. Le ministre en charge du Tourisme, lui-même issu de ce secteur d’activité, avait déclaré avec beaucoup de lucidité et de courage que la protection de la santé publique primait sur l’économie. Des mesures de confinement, en particulier à Antananarivo, épicentre de la crise, puis dans la région de Fianarantsoa et de Toamasina ont été prises et la circulation à l’intérieur du pays a été pratiquement bloquée avec en sus la suspension de tous les vols intérieurs.

Si l’on se réfère aux statistiques officielles, la progression du virus semble avoir été maîtrisée jusqu’au 7 mai avec moins de 20 cas par jour et aucun décès. Suite à la décision des autorités de permettre à tous ceux qui le souhaitaient de quitter la capitale, sous réserve de contrôle sanitaire dans les gares routières d’Antananarivo, la maladie s’est malheureusement propagée dans plusieurs endroits de l’Île et l’épicentre s’est vite déplacé sur Toamasina, principal port et deuxième poumon économique du pays. Malgré la promotion du Covid-Organics, remède traditionnel amélioré à base d’artémisia, les autorités sanitaires ne semblent plus maîtriser la situation et le nombre de cas explose pour passer de moins de 20 cas par jour à près de 50 et l’apparition des premiers décès. À date, le taux de prévalence du virus est de 0,005% de la population et le taux de mortalité des patients est de 0,8%, ce qui représente aujourd’hui des ratios, certes nettement en-dessous des moyennes mondiales (0,11% et 5,20% respectivement), mais sachant que le pic n’est pas encore atteint. Comparativement à nos îles sœurs voisines (Maurice, La Réunion et Seychelles) où le pic a été atteint en moins d’un mois après l’apparition du premier cas et où le nombre de cas actifs est proche de zéro, le pic à Madagascar ne serait pas atteint avant mi-juillet voire début août selon les prévisions, soit plus de quatre mois après les premiers cas.

Cette situation est d’autant plus inquiétante que le nombre de dépistages est relativement faible (moins de 15.000) alors les recommandations internationales préconisent 15.000 tests par million d’habitants soit 390.000 idéalement pour Madagascar. En limitant le périmètre aux régions d’Analamanga, Alaotra-Mangoro et Atsinanana, principaux foyers de l’épidémie, nous aurions dû effectuer 60.000 tests. Clairement, le nombre de dépistages est insuffisant et le nombre de cas réel est certainement sous-estimé. Les mesures de confinement n’ont pas été assez strictes et celles de distanciation sociale n’ont pas été respectées en particulier dans les quartiers populaires sans que les agents de police ne soient intervenus. Par ailleurs, en matière prophylactique, le Covid-Organics a eu du mal à s’imposer localement, tant par suspicion d’une partie de la population, que par défaut de politique de santé publique affirmée et de réseau de distribution approprié.

En d’autres termes, si les mesures de prévention ne sont pas significativement renforcées, le pire est à craindre, en particulier en cette période hivernale, propice à la propagation du virus.

Et selon vous, quels sont les impacts actuels et prévisibles de cette crise sanitaire sur l’économie du pays?

Les impacts ont été perceptibles très tôt, dès que la grande région du Hubei en Chine Centrale, où sont implantées de nombreuses industries, a été confinée, signifiant ainsi la fermeture temporaire d’un certain nombre de fournisseurs pour les entreprises malgaches (textile, pharmacie…) rendant difficile l’approvisionnement. Plus directement, la fermeture des frontières a signé une année blanche sur le plan touristique, ce secteur contribuant à 7% du PIB et à 14% de nos recettes d’exportations avec près de 50.000 emplois directs et 300.000 indirects. Par ailleurs, la pandémie ayant atteint les principaux marchés d’exportation de Madagascar (Europe et USA), l’industrie textile représentant 17 % de nos exportations est en péril. Ambatovy, l’unité productrice de nickel/cobalt, contribuant à 22 % de nos exportations est totalement à l’arrêt pour des raisons sanitaires et seuls 10% de ses effectifs sont en fonction. Les baisses d’activités sont significatives dans tous les secteurs, allant de -20 % dans les secteurs des télécoms, à -100 % dans les secteurs du tourisme ou du transport depuis avril 2020 avec une moyenne de -50 % tous secteurs confondus. Si les indicateurs macro-économiques du premier trimestre 2020 ne s’éloignent pas trop de ceux de 2019, à période comparable, les indicateurs du deuxième trimestre virent au rouge avec une baisse d’activité moyenne de 50 à 60 % dans les secteurs secondaire et tertiaire, des recettes d’exportation en chute de 30 % et le chômage technique partiel ou total touchant plus du tiers du salariat formel. Seule l’agriculture, épargnée par une crise sanitaire prévalant essentiellement en milieu urbain, semble tirer son épingle du jeu avec une bonne production rizicole et de vanille malgré la décrue des prix de cette épice de près de 40 % sur le marché international. Cependant, le manque de débouchés incite les éleveurs à jeter leur production laitière ou les pêcheurs à brader le prix des produits de la pêche, les maraîchers à jeter les fruits et légumes périssables, accentuant ainsi la pauvreté en milieu rural.

L’économie malgache étant de plus en plus ouverte avec un taux d’ouverture de l’ordre de 50 % (ratio commerce extérieur/PIB), le rebond de l’économie nationale dépendra beaucoup de l’environnement international, tant en matière d’approvisionnements que de marchés. La forte baisse du prix du pétrole, en particulier, devrait permettre de contenir à la fois le déficit commercial et l’inflation, mais au détriment des recettes publiques sans que les entreprises et les consommateurs puissent réellement en profiter.

Vous dressez là un tableau bien sombre ; quelles sont, selon vous, les voies et perspectives de sortie de crise pour les entreprises?

Dans un contexte aussi difficile, inédit et imprévisible que celui de la covid-19, il est important que les solutions soient concertées entre les pouvoirs publics et les opérateurs économiques. Les difficultés des entreprises affectent directement les recettes fiscales et douanières de l’État et inversement, la bonne santé des entreprises contribue à l’amélioration des finances publiques. L’objectif immédiat consiste, d’une part, à préserver les emplois dans un système où l’indemnité de chômage n’existe pas et d’autre part, à limiter autant que possible les fermetures et faillites d’entreprises et à soutenir les entreprises fragilisées par la crise mais ayant la capacité de rebondir post-covid. Il est primordial de préserver le capital humain et l’outil de production national pendant la période de crise, sans quoi la relance économique ne sera pas au rendez-vous faute de combattants. Par conséquent, les solutions de crise doivent comprendre, outre les mesures de prévention et de soins sanitaires, des mesures de soutien social pour les salariés et les agents informels en perte de revenu ainsi que des mesures financières dont des allègements fiscaux et de charges sociales et des crédits de trésorerie garantis et à taux bonifiés permettant de maintenir la tête des entreprises hors de l’eau.

Dans un contexte aussi évolutif et imprévisible, il faut décider et agir avec rapidité, souplesse et faire preuve de bon sens et de sang-froid. Avec rapidité, car ce qui n’est pas entrepris au bon moment risque d’être difficilement rattrapable. Avec souplesse car il faudra prendre des décisions en fonction de l’évolution du contexte. Avec du bon sens car dans cette crise de la covid-19, il n’y pas de recettes toutes faites. Enfin avec sang-froid car au-delà de la nécessité de faire respecter la discipline, il faut faire primer l’intérêt général en lieu et place des intérêts particuliers.

Pensez-vous que le projet de Loi de finance rectificative adopté par le gouvernement va dans le bon sens?

Les reports d’échéances fiscales ne suffisent plus, car la durée de la crise est bien supérieure à ce qui a été prévu initialement et les entreprises ne seront pas en mesure de verser 115 milliards d’ariary d’impôts en sus des échéances normales le 15 août prochain. De même, l’injection de liquidités au profit d’un système bancaire sur-liquide et averse au risque ne suffit pas. Néanmoins, la Loi de finances 2021 sur laquelle il est urgent de travailler dès maintenant doit mettre l’accent sur les mesures de relance économique, en se basant sur une politique budgétaire contra-cyclique à la keynésienne. Il peut s’appuyer sur un déficit budgétaire agressif au-delà de 10 % et un recours supplémentaire à l’endettement, sachant que le taux d’endettement du pays n’est que de 30% actuellement et pourrait facilement doubler. Le plan de relance devrait concerner tous les secteurs stratégiques à fort effet de levier ou à fort potentiel de développement et ne pas se limiter à un seul secteur, celui des BTP, comme indiqué dans le plan multisectoriel d’urgence.

Les opportunités économiques post-covid seront nombreuses, car les principales économies mettront en œuvre des plans massifs de relance économique en faveur de la consommation en particulier. Les pays émergents, dont Madagascar, ne doivent pas être en reste et, avec force et conviction, doivent se donner les moyens de capter une part grandissante de cette manne de demain avec, cette fois-ci, des objectifs de croissance économique à deux chiffres.

Propos recueillis par Hanitra Rabefitseheno

Thierry-Marie H. Rajaona
Fondateur-gérant de FTHM Conseils
Président du gem, Groupement des Entreprises de Madagascar

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 *Chiffres du rapport du CCO du 28 juillet 2020

**Le Pr Anaud Fontanet, directeur unité d’épidémiologie des maladies émergentes - Institut Pasteur - Membre du Comité scientifique en France s’exprimant à propos de l’évolution de l’épidémie en Australie, Afrique du Sud et Madagascar, invité au JT de France 2, le 25 juillet 2020

Article paru dans TRAIT D’UNION, le magazine de la RNS – n°65 – JUILLET 2020

SOURCE
http://www.rns-cen.com/24697-2/