Améliorer la gouvernance du secteur halieutique

COMMUNIQUE CONJOINT

Les différents groupements professionnels membres du GEM se sont réunis le 14 janvier 2021 ; il est apparu que bon nombre de problèmes économiques que traversent les entreprises dans les différentes filières actuellement sont liés à la faiblesse de la gouvernance économique. Tout ceci handicape lourdement la reprise économique pourtant nécessaire suite à la crise covid-19. Par conséquent, le GEM a décidé de communiquer sur les situations respectives des différents secteurs et d’appuyer la parole des groupements professionnels à travers une série de communiqués.

Aujourd’hui, et vu l’urgence, nous commençons par le secteur de la pêche et de l’aquaculture.

POUR L’EMERGENCE, IL FAUT AMELIORER LA GOUVERNANCE DU SECTEUR HALIEUTIQUE

Constat : l’exploitation des ressources marines ne rapporte pas à l’Etat malgache ce qu’il est en droit d’espérer.

Les productions marines réelles à Madagascar ont été en 2017 aux environs de 109 601 tonnes réparties en :
Pêche industrielle    : 12 743 t
Pêche traditionnelle : 96 013 t.

Le potentiel exploitable par pêche des ressources marines et estuariennes a été estimé en 2019 (source : Plan directeur des pêches) à 110 000 t. On est très éloigné des premières estimations de la FAO (471 000 tonnes en 1992) qui englobaient tout, c’est-à-dire l’eau douce et l’aquaculture, dont les chiffres sont inlassablement repris, laissant croire à une sous-utilisation des ressources halieutiques nationales. Il y a des fondements structurels, scientifiques et océanographiques à cela.

La piraterie à Madagascar ne concerne que les ressources pélagiques du large, mais de façon marginale. Le vrai fléau est le pillage organisé, les pirates invités, auquel doivent être assimilés tous les protocoles de pêche privés opaques.

Certaines filières, en particulier le crabe et l’aileron de requin, sous-déclarent de façon excessive la valeur à l’exportation de façon à échapper à un juste niveau de redevances qu’elles devraient acquitter. Aujourd’hui, le crabe est devenu la principale valeur exploitée et devrait contribuer à 2 ou 3 fois plus que la crevette aux recettes de l’Etat.

Les phénomènes migratoires vers les côtes et la petite pêche, dus à la pauvreté et à des stratégies de survie, sont en train de provoquer un bouleversement et des dommages irréversibles aux ressources halieutiques côtières à l’instar de ce qui s’est produit sur les forêts. Il y a un enjeu électoral qui tétanise les élus. On essaye d’occulter ce problème en le dissimulant derrière des prétendus conflits avec la pêche industrielle qui n’existent pas. Sans actions appropriées d’assistance et de contrôle de la petite pêche, la situation se retournera inévitablement contre ces mêmes élus.

Le vol organisé au détriment des petits pisciculteurs et des pêcheurs industriels se traduit par un obstacle à la création de valeur et aux contributions fiscales pour l’Etat car les procédures n’aboutissent pas en justice.

Il est estimé que les pertes réelles pour l’Etat, dues aux défaillances de gouvernance du secteur halieutique, se situent à plus de 80 millions de dollars par an, soit plus que le budget de la direction de la pêche

Il a été constaté par ailleurs que le montant annuel nécessaire au fonctionnement de l’Autorité Sanitaire Halieutique (ASH) de 1,3 milliard d’Ariary n’est plus assuré. Cette situation, très grave, pourrait conduire le Comité Vétérinaire Permanent de l’Union Européenne à prononcer à très court terme un embargo sur toutes les exportations halieutiques malgaches à destination de l’espace européen, ce qui serait catastrophique dans le contexte actuel de crise économique.

Huit (8) suggestions pour une meilleure gouvernance du secteur halieutique

  1. Au titre de son article 4 du code de la Pêche, seul le Ministre en charge de la pêche devrait pouvoir accorder des droits de pêche.
  2. Une inspection générale des finances objective devrait être déclenchée aux fins d’examen exhaustif de tous les protocoles privés et opaques de pêche. L’octroi de droits de pêche devrait être à l’avenir transparent, compétitif et public. La signature de tout protocole doit donner lieu au versement de compensations immédiates pour l’Etat, puis au versement de redevances annuelles basées sur des prévisions réalistes de captures et à leur valeur au débarquement. Les redevances doivent tenir compte de la chaine de valeur et être proportionnées. Le critère de l’emploi des malgaches devrait être prioritaire et donc sélectif, ou, en cas d’impossibilité, faire l’objet de contreparties spécifiques. Les sociétés nationales, pavillons nationaux et emplois nationaux, investissements à terre doivent être privilégiés.
  3. Toute filière devrait être organisée et représentée par une organisation professionnelle.
  4. Les filières professionnelles devraient contribuer à due proportion de la valeur de leurs exportations au financement annuel direct de l’ASH sans passer par le Trésor public qui est lui-même soumis à des arbitrages difficiles. Le calcul des redevances annuelles devra tenir compte de cette contribution.
  1. Pour améliorer la valeur d’exportation au départ de Madagascar, et en conséquence les redevances, il est nécessaire de rétablir le bon fonctionnement de l’Observatoire Economique de la Pêche et de l’Aquaculture. A cet effet, il faut exiger une réévaluation des coûts à l’export du crabe vivant, avec, au passage, une révision à la hausse de la rémunération des petits pêcheurs.
  2. Le Ministère doit conserver et appliquer le dispositif de gestion de la ressource crevettière en vigueur, et donc suspendre le projet de décret en élaboration, procéder aux appels d’offres sur licences déjà prévus, annuler tout protocole privé permettant de pêcher au chalut « des crustacés dont la crevette » et donc en particulier les protocoles concernés signés avec la société Côte d’Or, et dont la presse a fait état récemment.
  3. Il est possible d’améliorer la valeur de la crevette de pêche sur les marchés, et par conséquent au départ de Madagascar en faisant en sorte de mettre rapidement en place au niveau du ministère les mesures nécessaires à l’écocertification Marine Stewardship Council (contrôle de la petite pêche, recherche). Ceci permettra d’augmenter les redevances. En effet la crevette de pêche de Madagascar a perdu son leadership et sa valeur relative sur les marchés car la plupart des pêcheries concurrentes accèdent à l’écocertification.
  4. L’Assemblée Nationale doit adopter d’urgence le plan de lutte contre la pêche illégale (PAN_INN), écrit en 2008 et mis à jour en 2019, seul signe pratique d’une volonté d’instaurer une meilleure gouvernance dans les pêcheries.